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L’histoire des Jardins

1. Les jardins de l’Antiquité

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Jardin de la villa adriana à Tivoli (Italie)

L’histoire du jardin commence avec les plus anciennes civilisations : celles d’Égypte, de Perse, de Grèce et de Rome. Le jardin jouait un rôle important dans la vie économique et sociale, et a aussi servi de représentation symbolique du Paradis. Dans la tradition judéo-chrétienne, Adam et Ève ont été chassés du jardin d’Éden, qui symbolisait le Paradis. Le jardin perse, adopté plus tard par l’Islam, était une représentation du Paradis, un état de bénédiction selon le Coran. En fait, on utilisait le même terme pour désigner le “paradis” et le “parc” en ancien perse. Xénophon a écrit de Cyrus le Grand : “Quelque part qu’il séjourne, dans quelque pays qu’il aille, il veille à ce qu’il y ait de ces jardins appelés “paradis”, qui sont remplis des plus belles et des meilleures productions de la terre”.

Dans ces jardins anciens, qui suivaient généralement une structure formelle, on trouvait des plantes qui apportaient de l’ombre ou un abri, qui avaient une fonction décorative, des vertus médicinales ou encore un usage culinaire. Depuis toujours, on a cultivé des plantes importantes : fruits, fruits secs, céréales, légumes et aromates faisaient partie intégrante de la vie. Outre les jardins entretenus, il y avait souvent de grandes zones boisées près des villes, où l’on chassait le gibier. Il serait inexact de considérer le jardin comme une simple collection de plantes ; pour les riches, le jardin était un lieu de repos et de loisir, où l’on pouvait jouer à des jeux, écouter de la musique, dîner et danser. C’était une extension de la maison, une pièce en plein air. Il semble que même les foyers les plus pauvres avaient des plantes, généralement des aromates, même si elles poussaient dans des pots. Dans l’Égypte antique, les plantes ont joué un rôle majeur dans l’économie comme dans les cérémonies religieuses. À Thèbes, aujourd’hui Louxor, il y avait plus de 450 jardins et de grands réservoirs d’eau, auxquels on donnait souvent le nom de bassins sacrés. On attribue souvent aux Romains la séparation de l’utile et du décoratif ; le potager et le verger ont été séparés du jardin d’ornement : les premiers jardins maraîchers et des parcelles de terre cultivées sont apparus à la périphérie des villes.

 

Il existe une ressemblance étonnante entre les jardins des civilisations antiques et ceux d’aujourd’hui. Les jardins étaient souvent entourés de murs, pour protéger des plantes utilisées dans la cuisine ou pour se soigner. Le jardin péristyle romain, ou pièce extérieure, était décoré de tables, fontaines, peintures murales et plantes odorantes. Cicéron raconte que le jardinier “a tout enveloppé de lierre, pas seulement les murs de la villa, mais aussi les espaces entre les colonnes des allées, tant et si bien que les statues grecques semblent faire le travail de jardiniers paysagistes et arborer fièrement leur lierre.”1 Wilhelmina Jashemski, une archéologue américaine qui a mis à jour de nombreux jardins de Pompéi et d’Herculanum, explique le rôle du jardin : “Le jardin était intimement lié à de nombreux aspects de leur vie : l’architecture, publique et privée, la peinture, la sculpture, l’expression esthétique, l’horticulture, l’économie, la religion, le travail, les loisirs et l’aménagement urbain.”2

Les jardins actuels ont conservé de nombreux éléments hérités des anciennes civilisations au niveau de la forme, de l’utilisation et même des plantes cultivées. Les Romains ont introduit dans le Nord de l’Europe de nombreuses plantes, dont le laurier, le romarin, le thym, la lavande, le marronnier et le châtaignier. Un autre aspect, que l’on oublie souvent, est la conception et l’utilisation des espaces publics qui annoncent nos parcs publics et les squares des villes. Des chemins processionnels de l’Égypte antique aux marchés de plein air.

1 Cicéron, Epistulae ad Quintum fratrem, 54 avant J.C., 3.1.5
2 Jashemski, W The Gardens of Pompeii 1993, introduction

2. Le jardin persan

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Jardin du Eram à Chiraz (Iran)

La Perse antique était composée de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie actuels. De là, vient l’une des formes de jardin qui ait subsisté le plus longtemps. Dans ce milieu difficile où l’eau se faisait rare, on créait les jardins dans des espaces clos et abrités et l’on arrosait peu. Réguliers et géométriques, ces jardins reflétaient l’intérêt des Perses pour la géométrie et les mathématiques. Les plantes locales avaient une fonction décorative, médicinale et culinaire. De nos jours, on retrouve un grand nombre de ces plantes, ou une version hybride, dans les divers pays d’Europe.i Alors que le jardin persan a survécu jusqu’au 7 ou 8e siècle, il a acquis une nouvelle signification avec l’expansion de l’Islam, qui a conservé cette forme de jardin tout en lui donnant un sens symbolique. “La culture persane a été absorbée par l’Islam et a continué sans interruption apparente. Le jardin a su englober et absorber les schémas de pensée aux antipodes l’un de l’autre du fidèle musulman comme du philosophe à l’esprit rationnel. Pour le musulman, le jardin est resté le Paradis décrit dans le Coran : “Pour eux [les pieux] les jardins d’Éden, à l’ombre desquels coulent les rivières”. Pour le philosophe, le jardin a continué à être un lieu de contemplation et de conversation, où le corps et l’esprit trouvaient le repos et où l’intellect était libéré de tout préjugé.”

 

Le mot “Paradis” vient du grec paradeisos, qui a pour origine le mot pairidaeza, antérieur à la langue perse. pairidaeza signifie “espace fermé“, “parc”. Le Paradis était la récompense promise aux fidèles, un état de bénédiction. Les récompenses physiques et temporelles sont décrites dans le Coran (47:15) : “Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux : il y aura là des ruisseaux d’une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié. Et il y a là, pour eux, des fruits de toutes sortes, ainsi qu’un pardon de la part de leur Seigneur.”

Le Paradis devait apporter fruits et eau en abondance, les besoins essentiels, tandis que ceux qui atteignaient le vrai Paradis du Coran auraient accès à des plaisirs plus luxueux : ils pourraient s’allonger sur des “lits ornés d’or” et consommer à volonté du vin, des fruits et la chair fraîche de volailles servis par des “garçons éternellement jeunes” et des “houris aux yeux grands”.

“La structure du jardin paradisiaque est très simple. Elle reproduit, sous forme idéalisée, le chemin de l’irrigation, où l’eau apparaît, symboliquement et physiquement, comme la source de la vie”.2 Le Chahar Bagh est un jardin divisé en quatre parties représentant l’eau, le feu, la terre et l’air. Au centre, un bassin où coulait l’eau d’une fontaine, représentait l’ordre. En marbre ou en pierre, il était généralement rectangulaire ou hexagonal. Quatre canaux partaient de ce bassin et divisaient le jardin en quatre parties.
L’eau du Chadar, ou cascade, se jetait dans des bassins ou des canaux sur des terrasses en contrebas. De forme géométrique et reproduisant une symétrie parfaite de chaque côté de l’axe, les jardins reflètent le niveau de connaissances avancées en mathématiques de l’époque, et sont une image de l’intellect et de l’Ordre Divin. Le jardin comportait des zones abritées, faisait découvrir de nombreux parfums et offrait des vues spectaculaires, principalement sur l’intérieur. Thème récurrent, l’eau représentait la pureté et la source de la vie. L’écoulement de l’eau symbolisait le passage du temps tandis que les bassins débordants rappelaient l’abondance de l’eau au Paradis.
À la différence de l’art occidental, il n’existait pas de représentation d’animal ou d’homme dans le jardin. Le jardin persan a eu une influence considérable sur les jardins occidentaux, en particulier sur la forme des jardins du Moyen-Âge et à la Renaissance. Toutefois, l’idée du jardin comme symbole du Paradis s’est perdue dans la culture occidentale.

3. Le Jardin chinois

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Jardins classiques de Suzhou (Chine)

Comme pour le jardin persan, il est souvent difficile de trouver des similitudes entre le jardin chinois et le jardin d’Europe occidentale, même si les produits chinois, en particulier la porcelaine et les meubles, ont été à la mode pendant des siècles. On confond également le jardin chinois et le jardin japonais, qui s’est inspiré du jardin chinois. Ils reposent tous deux sur un fondement philosophique : le jardin japonais s’inspire de la nature, tout comme le jardin chinois mais il est influencé par diverses philosophies, telles que le shinto, l’hindouisme, le taoïsme, le bouddhisme, qui se rejoignent souvent. C’est l’amour de la nature taoïste, associé à l’intérêt que les confucianistes portent aux rites et aux devoirs qui constituent le fondement philosophique du jardin chinois.1 Le bouddhisme est apparu en Chine au 5e siècle et a renforcé le principe de la dimension spirituelle de la nature pour l’homme.

 

L’âge d’or des jardins chinois se situe pendant la dynastie Song (1127-1279), où la nature était représentée de façon abstraite et embellie grâce à l’utilisation de l’eau, de pierres, de plantes et d’animaux, en particulier les oiseaux. Il ne reste rien de ces jardins mis à part quelques références en littérature. Toutefois, ont subsisté d’incroyables exemples de jardins impériaux et privés, principalement de la dynastie Qing au début de son règne (17-18e siècles). Selon Lian Tao, ces jardins sont “gracieux, raffinés et proches de l’harmonie subtile de la nature sauvage. À l’origine, les jardins étaient créés par des lettrés ou autres notables, les classes riches de cette société féodale. Il existe deux types différents de jardin privé : le premier est la retraite simple destinée à l’intellectuel pour son usage personnel, tels que les jardins de Suzhou. Ils apportaient…un refuge contre les tensions de la société. L’autre type de jardin était un étalage plus ostentatoire et élaboré de la richesse” dans le style des parcs impériaux.2 À l’opposé, les jardins impériaux étaient grandioses et servaient aux réceptions de la Cour. La famille royale possédait également des jardins plus petits et plus intimes pour se détendre.

Les jardins privés sont caractérisés par la présence de nombreux pavillons, de pierres et d’eau. Étonnamment, les plantes sont peu utilisées. Elles servent généralement de toile de fond, presque comme un rideau de théâtre, ou d’éléments sculpturaux qui reflètent souvent les saisons. Les éléments du jardin ont des noms poétiques, tels que “le pavillon sous la brise du lotus”, “la salle de la fragrance lointaine” ou “l’île parfumée”. Ces noms évoquent un sentiment de relaxation, de refuge face aux pressions sociales, et mettent en évidence le lien entre les jardins et les arts : la peinture, la calligraphie, la musique et la poésie.

Les deux types de jardin ont adopté “la technique d’imitation et de symbolisme afin de recréer des paysages naturels dans un espace limité”. Les jardins privés cherchaient à “créer un sentiment de grandeur au moyen de petits détails”.3 Souvent, les détails reproduisaient de façon abstraite des paysages célèbres à l’aide de pierres calcaires et de plantes locales soigneusement taillées pour prendre la forme voulue. Ce que l’on remarque tout de suite dans les jardins de Suzhou, c’est que dans chaque direction, la vue, le paysage est différent.

De cette façon, il est impossible de déterminer la taille du jardin, car c’est une série infinie d’espaces. Depuis longtemps, les experts se demandent si le jardin chinois a influencé le jardin à l’anglaise du 18e siècle. Bien sûr, l’échelle et les détails sont différents mais les concepts de nature et de scènes multiples sont des éléments essentiels du jardin à l’anglaise.

4. Le jardin et le paysage médiévaux

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Jardin médiéval de Bois-Richeux (France)

Ce sont les communautés monastiques de l’Église catholique qui se sont intéressées aux jardins après la chute de Rome en 410. Il s’agissait essentiellement de communautés autonomes possédant de vastes domaines ainsi qu’un grand réseau de routes de commerce. Le Moyen-Âge n’était ni sombre ni arriéré : des preuves démontrent que le jardin existait à tous les niveaux de la société. Il jouait un rôle important dans la vie quotidienne, comme par le passé : utilitaire pour les pauvres mais fonctionnel et esthétique pour les riches.

 

Les références aux jardins les plus anciennes datent de 795 où un ensemble de règlements concernant les régions administratives gouvernées par Charlemagne énumérait 73 plantes et arbres fruitiers à cultiver dans chaque région. Les plantes et leurs produits faisaient l’objet d’un échange et constituaient une part importante du commerce international, ainsi que de l’économie locale. Les jardins tendaient à avoir une structure simple et géométrique. Nos connaissances sur cette époque viennent principalement de gravures sur bois et de peintures figurant dans de nombreux livres d’heures, tels que le Roman de la Rose. Elles révèlent que le jardin servait de cadre pour les événements, souvent des allégories pour les histoires religieuses. Bien que les premiers jardins occidentaux aient repris de nombreux éléments de la structure des jardins romains et persans, ils ne sont jamais devenus une représentation des idéaux religieux comme dans les régions où se pratiquait l’Islam.

Le jardinier du Moyen-Âge devait résoudre les mêmes problèmes qu’aujourd’hui. Wilafred Strabo, dans son poème Liber de Cultura Hortorum, aussi connu sous le nom d’Hortulus, se demande comment se débarrasser des orties : “Quid Facerem ?” (Que dois-je faire ?). Il est le premier à mentionner les cultures surélevées, une méthode commune au Moyen-Âge qui a été utilisée jusqu’au 18e siècle. La plupart de ses écrits traitent de la culture des aromates et des légumes. Les fleurs étaient utiles : le coquelicot pour l’opium ; le lys pour les morsures de serpent et les cors ; l’iris pour l’empois. De nombreuses plantes avaient été introduites pendant la période romaine et d’autres pendant les Croisades. Les fleurs étaient utilisées pour les décorations et les chapelets pour le clergé, comme le faisaient les prêtres dans l’Égypte et la Rome antiques. Les fleurs servaient également de symbole : le lys blanc pour la Vierge Marie et la rose pour le sang du Christ.
Outre les jardins particuliers, des espaces publics avec des étangs, des ruisseaux, des vergers et des jardins se sont développés dans les villes médiévales.

Au 12e siècle, existaient déjà des schémas que l’on retrouve aujourd’hui dans les rues des centres villes du pays. Les maisons, souvent proches de la rue, avaient un long jardin à l’arrière, qui servait à faire pousser des fruits et légumes et à élever des animaux. Pour les riches, les jardins étaient des lieux de loisir et jouaient aussi un rôle fonctionnel : on y pratiquait des jeux et la lecture, on y dînait et on y tenait même des séances de la Cour. Les caractéristiques du jardin et sa forme étaient similaires à travers l’Europe, signe que les idées sur le style, les goûts et la technologie circulaient. On appelle souvent ces jardins, généralement rectangulaires et clos, Hortus Conclusus. Les riches utilisaient de la pierre ou de la brique pour les murets tandis que les moins riches fabriquaient des clôtures en treillage, en clayonnage ou en lattis. Les plantes avaient un usage ornemental, médicinal et culinaire tandis que les fleurs étaient cultivées pour leur parfum et la décoration. La plupart des plantes avaient de multiples usages. Les jardins avaient des caractéristiques notables : la butte, qui offrait à l’origine un point de vue sur la campagne environnante, et la banquette de gazon, bande de terre surélevée couverte de fleurs sauvages et d’herbe. On a également vu apparaître la pelouse, avec des fleurs sauvages, à la différence des gazons d’aujourd’hui. C’était la prairie fleurie de Chaucer.

5. Les jardins de l’époque Tudor et Stuart

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Hamilton Gardens (Nouvelle-Zélande)

La forme du jardin de la fin du Moyen-Âge a été conservée sous Henry VII, le premier des rois Tudor. Les jardins sont devenus plus grands, plus élaborés et plus ouverts sur les parcs et la campagne aux alentours ; les remparts et les douves ont disparu. La structure restait très géométrique : le côté formel des périodes passées a survécu. La butte est devenue un point d’où l’on pouvait admirer le jardin, plutôt qu’un élément de défense, tandis que le labyrinthe est devenu un lieu de divertissement. De grandes demeures ont été bâties, entourées de domaines agricoles, essentiellement de grandes fermes : cela marque le début du manoir anglais.

 

La technologie et la politique ont eu des effets majeurs sur le jardin. Les nouvelles technologies ont apporté de nouvelles techniques de construction avec des matériaux différents. Cela a permis de construire des bâtiments beaucoup plus grands et d’utiliser le verre beaucoup plus facilement, car son coût a fortement diminué. Soudain, les maisons ont pu avoir de bien plus grandes fenêtres et les techniques d’horticulture, principalement la serre puis le jardin d’hiver, se sont développées. Les plantes que l’on ne pouvait pas cultiver, ou difficilement, pouvaient désormais prospérer.

Sous Henry VIII, l’horticulture est devenue une véritable industrie, et de nouvelles techniques, telles que le greffage, sont apparues. Les comptes d’Hampton Court donnent une idée de l’échelle des travaux et des sommes considérables consacrées aux jardins. Hampton Court, dont la construction a été commencée par le Cardinal Wolsey en 1514, a été cédé au roi en 1529. Henri VIII a embelli les jardins avec des buissons taillés, des animaux sculptés recouverts de dorures, une butte fabriquée à l’aide de 256 000 briques sur laquelle on a planté “12000 aubépines pour préserver la solidité du terrain”, une tonnelle et une maison de banquets sur deux étages comportant 48 fenêtres et construite au sommet de la butte. In 1533, Henry Blankstone a reçu £30 pour la peinture de 96 piquets et 960 yards de lattes de bois autour du jardin de fleurs. Henri VIII appréciait particulièrement les poteaux rayés vert et blanc, sculptés d’animaux héraldiques au sommet.

Les jardins arboraient souvent des fontaines, des terrasses cultivées surélevées et des statues. Dans le “Knot Garden” (jardin de noeuds), typique de l’époque Tudor, les plantes étaient taillées et entrelacées presque comme un noeud. Entre ces haies basses, poussaient des fleurs, comme les violettes, les primevères, les oeillets et la menthe. Les topiaires, plantes taillées pour donner des formes géométriques, décoraient les allées de gravier. Des jardins étaient dédiés à un usage spécifique : culture de fruits secs, étangs pour les poissons… Les vergers abritaient souvent des plantes ornementales et même des topiaires.

Sous Élizabeth Ière, des plantes ont été importées d’Inde, d’Amérique, des Canaries et d’autres régions du monde. Un grand nombre des nouvelles variétés avait été introduit en Angleterre par les Huguenots à partir des années 1570. Ils s’intéressaient particulièrement aux fleurs : ils ont fondé des sociétés dédiées à certaines fleurs et mis en place des systèmes de classification en fonction de la couleur, de la forme et des proportions des fleurs. Au milieu des années 1640, plus de 4000 plantes figuraient dans le Theatrum Botanicum, un chiffre multiplié par quatre en moins de cinquante ans.

6. Le jardin Renaissance

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Château de Villandry (France)

La Renaissance a marqué un tournant : le développement des arts, des sciences, du commerce et la stabilité politique ont permis à l’homme de reconsidérer sa relation au monde. L’homme était au centre de cette interrogation et l’idée d’uomo universale, l’homme universel, est née.

 

L’Italie est le berceau de la Renaissance, et ses jardins sont les plus purs en termes de concept et de forme. La structure des jardins et des parcs de la Renaissance est inspirée des traditions de la période gréco-romaine. Plus précisément, la Villa Urbana est devenu un exemple d’agencement du jardin détaillé tandis que la Villa Rustica s’est imposée comme la référence principale pour les parcs du 16e siècle puis du paysage romantique anglais du 18e siècle.

Rompant avec le jardin médiéval clos et protégé, le jardin de la Renaissance italienne s’est ouvert au monde extérieur. Leon Alberti a dit qu’une villa ‘doit permettre de profiter de tous les plaisirs qu’offrent l’air, le soleil et les vues agréables…Je la placerai en hauteur, mais la montée devrait être si facile qu’elle devrait à peine être perceptible à ceux qui s’y rendent, jusqu’à ce qu’ils parviennent au sommet et qu’un vaste paysage s’offre à leur vue”. La Villa Lante (1564-années 1580), considérée comme le meilleur exemple de jardin Renaissance, illustre ses idées. Le plan révèle le chef d’oeuvre de Vignola, logique et ordonné, représentant un jardin formel avec deux casinos surplombant un parterre d’eau. Un bois (bosco) permet de conserver un certain équilibre. Avec ses superbes jardins d’eau, l’une des merveilles de son époque, la Villa d’Este (postérieure à 1550) se fait remarquer par son exubérance, qui contraste avec la subtilité de la Villa Lante.

On accédait à ces villas par les jardins ; l’architecture était intégrée aux jardins. Après avoir traversé en grimpant une série de jardins, on parvenait au sommet d’où l’on avait une vue sur la campagne environnante, ce qu’on appelait le paysage emprunté. Souvent ignorés, de nouveaux espaces urbains sont apparus, tels que la Piazza del Campidoglio (1544), conçue par Michel-Ange, le précurseur de la place Baroque dans les villes.

Les jardins de la Renaissance française ont évolué du style humaniste italien au style maniériste, puis baroque ; l’homme a été considéré, non pas seulement comme faisant partie de l’univers, mais comme centre de l’univers. Les jardins de Vaux-le-Vicomte (1661), dessinés par André Le Nôtre, démontrent un usage adroit des vues, des niveaux et des reflets, et plus encore, la domination de l’homme sur la nature et les autres hommes. “Vaux est le paradigme du jardin français. Conçu pour être admiré du château qui symbolise l’autorité du châtelain, le jardin offre une vue unique qui donne au spectateur le sens d’une unité et d’une symétrie rigoureuses, qui à la fois subordonne et embellit l’œuvre de la nature.”1 Aucun jardin n’est plus impressionnant que Versailles, créé par Le Nôtre ; son échelle est imposante, ses excès au-delà de l’imagination.

Tout ce que l’on voyait appartenait au Roi, Louis XIV. Mais il est également apparu que l’homme avait besoin d’une vie plus simple, comme le témoignaient les bois alentours et la ferme de Marie-Antoinette.
Les jardins de la Renaissance anglaise apparaissent à la mort de Charles II (1685), quand Marie, héritière présomptive de Jacques II, a accédé au trône. Marie avait épousé Guillaume d’Orange aux Pays-Bas, où ils avaient remodelé le palais et les jardins de Het Loo, qui sont devenus le modèle des plans de Kensington Palace et Hampton Court, réalisés après 1688. C’est une époque où la Couronne était très riche et puissante, comme en témoignent les nouveaux bâtiments conçus par Sir Christopher Wren à Hampton Court et les nouveaux jardins.

Ces jardins servaient aux fastes de la Cour royale, et à exposer les nouvelles variétés de plantes, souvent curieuses, alors que l’industrie de l’horticulture émergeait. Bien que différents des jardins français, moins formels et plus petits, ils étaient clairement une démonstration du pouvoir du monarque.

1 Valéry, Marie-Françoise Jardins de France Taschen, Cologne 1997

7. Le jardin à l’anglaise

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Stourhead palladian bridge – Wiltshire (Angleterre)

Le 18e siècle en Angleterre correspond à la période la plus complexe pour la théorie des jardins et des paysages. Des théories contradictoires, les nouvelles technologies, les alliances politiques et le débat sur le goût – le beau, le sublime et le pittoresque – apportent un héritage qui va bien plus loin que le paysage en vogue de Lancelot ‘Capability’ Brown, le paysagiste le plus connu de son temps.

 

Chaque manoir ou presque possédait des jardins formels, somptueux, comme ceux d’Hampton Court mais cela a vite changé. Dans les années 1730, on s’est éloigné du jardin formel. Cela est dû en partie à l’influence de poètes tels que Milton, mais aussi aux peintures de paysages arcadiens de Lorrain et Poussin.

Plus pragmatique, Sir Nicholas Pevsner1 attribue ce changement au caractère raisonnable des Anglais : le jardin formel coûtait cher à entretenir, produisait peu et était monotone, étant donné qu’il restait le même toute l’année. Le jardin et le paysage de cette période peuvent être considérés comme la seule forme d’art véritablement anglaise à l’origine.

Joseph Addison a critiqué le jardin formel de cette manière : “Au lieu de copier la nature, les jardiniers anglais aiment à s’en éloigner autant que possible. Nos arbres ont la forme de cônes, de globes et de pyramides. Nous voyons la marque des ciseaux sur chaque plante et buisson.”2 Tout le monde ne partageait pas l’opinion d’Addison, et la transition du jardin formel au jardin naturel a duré plusieurs décennies.

Horace Walpole attribue à William Kent la création du jardin à l’anglaise : “À ce moment, est apparu Kent, assez connaisseur en peinture pour apprécier les charmes du paysage, assez audacieux et déterminé pour oser et imposer, et doté d’assez de génie pour créer un système remarquable à partir d’essais imparfaits.

Il a franchi la barrière et a découvert que la nature toute entière était un jardin.’ Walpole a expliqué l’influence de la nouvelle invention, le muret Ha Ha : “Mais, l’élément moteur, l’étape qui a déterminé tout ce qui a suivi, c’était [je crois que l’idée vient de Bridgman] la destruction des murets utilisés pour délimiter les jardins et l’invention des fossés, une idée qui semblait si étonnante, que les gens leur ont donné le nom de Ha Ha pour exprimer la surprise qu’ils avaient en rencontrant ces fossés sur leur chemin.” 3

Dans les années 1750, le nouveau style était bien établi par son adepte le plus célèbre, ‘Capability’ Brown. On lui a donné ce surnom parce qu’il disait à ses clients : “Your estates have great capabilities” (“les possibilités de votre domaine sont immenses”). On sait que Brown a réalisé plus de 100 paysages, mais on lui en attribue bien plus. En outre, il y en a eu beaucoup d’autres dans son style.

Ses paysages sont dans la lignée du style “beau”, qui renvoie aux lignes courbes et sinueuses reflétant les formes que l’on trouve dans la nature. Ses paysages sont composés de quatre éléments : l’eau, les arbres, le ciel et la terre. On les jugeait souvent plus beaux que la nature elle-même. Brown a travaillé pour le Roi et on lui a donné des appartements à Hampton Court. Dorothy More a décrit une conversation qu’elle a eue avec lui en 1782

“Quel temps magnifique ! J’ai passé deux heures dans le jardin l’autre jour avec M. Brown comme si nous étions en avril. Il illustre tous ses propos sur le jardinage par une allusion littéraire ou grammaticale. Il m’a dit qu’il comparait son art à une composition littéraire”. “À cet endroit,” a-t-il dit, en pointant du doigt, “je place une virgule. Et là,” désignant un autre endroit, “où il faut une coupure plus marquante, j’insère deux points ; autre part, où il faut une interruption pour rompre la vue, une parenthèse ; puis un point, et enfin, je commence un autre sujet.” 4

Les paysages de Brown n’avaient pas qu’une fonction esthétique : ils fournissaient du bois et du taillis, un refuge pour le gibier (grouse et faisan), du poisson des lacs et des pâtures pour les daims, les moutons et le bétail. Ces paysages, jouant un rôle économique, ont subi en partie l’influence des paysages que les riches ont pu découvrir en faisant le Tour d’Europe, des paysages où la nature intégrait une architecture et des ruines classiques.

Tout le monde ne souhaitait pas imiter la nature, comme Brown. Sir William Chambers a critiqué ces jardins qui ressemblaient trop à des champs et estimait que l’art devait corriger la nature. Cependant, le paysage de Brown dominait et ses principes ont été copiés dans le monde entier.

1 Pevsner, N The Englishness of English Art Praeger, New York 1955
2 Addison, J The Spectator, Londres 25 juin 1712
3 Walpole, H The History of Modern Taste in Gardening Ursus Press, New York 1995 (1750-1770) p. 42-43
4 Stroud, D Capability Brown Faber, Londres 1975 (1955)

 

8. Le jardin victorien

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Abbaye de Kylemore (Irlande)

Un style de paysage bien particulier est apparu au 18e siècle, mais des bouleversements majeurs liés aux nouvelles technologies ont eu lieu au cours du siècle et le pays, autrefois rural, est devenu la première nation industrielle au monde. Le style de paysage n’était plus adapté aux problèmes et aux opportunités qu’apportait cette nouvelle société, de plus en plus urbaine.

 

Au 19e siècle, époque de changement rapide et d’expérimentation, le jardin a pris une nouvelle place : jadis privilège des riches, il est devenu accessible à tous. La publication en maints exemplaires de journaux et de magazines, par exemple Gardeners Weekly, a permis à tout un chacun de découvrir les secrets du jardinage, et des expositions, telles que la Grande Exposition de 1851, ont sensibilisé le public à l’innovation et à la conception.

John Claudius Loudon a écrit de nombreux ouvrages sur les jardins destinés aux propriétaires de villa comme de maison contiguë toute simple. Même si le jardin privé était bien plus petit que le jardin d’autrefois, il utilisait un grand nombre des principes de conception venant d’autres époques dans le domaine des vues, de la circulation, des couleurs, de la forme, etc.

Les détails que Brown avaient fait disparaître, telles que les terrasses et les parterres de fleurs revinrent au goût du jour grâce au travail d’Humphry Repton. Les hôtels particuliers modestes arboraient souvent une allée surélevée en guise de terrasse, décorée d’urnes et de statues ; cependant, ces ornements pouvaient être trop imposants et on a beaucoup débattu pour définir ce qui était de bon goût.

Les changements ont également généré des problèmes sociaux, économiques et de santé. Les conditions de vie se sont améliorées grâce à l’intervention de propriétaires d’usine éclairés et d’autorités locales animés d’un esprit de réforme qui allait faire évoluer le sort des classes ouvrières. Inspirées d’un idéalisme utopique, des communautés industrielles ont vu le jour, la première étant celle de New Lanark de Robert Owen. Port Sunlight, New Earswick, Bourneville et Salt Aire sont devenus des villages modèles qui ont été copiés à travers le monde industrialisé. Les parcs publics constituent peut-être la plus grande nouveauté de cette période. Jusqu’à lors, les parcs n’avaient été que des domaines royaux dont l’accès était autorisé au public. Les premiers parcs sont apparus dans les villes industrielles du Nord et ils ont été adoptés dans le reste du monde.

Le parc de Birkenhead de Sir Joseph Paxton est le plus important au niveau de sa contribution dans le domaine de la conception et Central Park à New York de F L Olmstead s’en inspire fortement. La nécessité de la création d’espaces de qualité ouverts au public s’est fait sentir et, en 1865, l’association pour la préservation des espaces verts, Commons Preservation Society (CPS), a été fondée.

L’un de ses premiers succès a été de sauver la forêt d’Epping près de Londres. La CPS s’est ensuite intéressée aux grandes villes d’Angleterre et du Pays de Galles. Elle a sensibilisé les gens à la nécessité de préserver des espaces à l’air libre pour les loisirs ;1 les terrains de sport ont commencé à apparaître dans les parcs à la fin du siècle.

Les installations, entre autres sportives, sont devenues de plus en plus indispensables et c’est le Parisien Édouard André qui a eu l’idée de “créer des espaces elliptiques et circulaires pour permettre la pratique de divers sports et autres activités, tout en évitant la fragmentation grâce à une conception d’ensemble bien pensée.”2
La technologie a eu un effet majeur sur les jardins, en particulier l’apparition du verre bon marché. Les serres et les jardins d’hiver ont permis la culture de plantes et de fruits exotiques, tels que les pêches, les ananas, les orchidées et les palmiers, ainsi que des milliers de plants à repiquer utilisés chaque année. Le fer forgé assurait la solidité de la structure des constructions où l’on pouvait cultiver sans risque de nouvelles plantes venues du monde entier.

Grâce à Nathaniel Ward, on a pu, dès les années 1830, transporter les plantes dans des containers en verre clos, appelés ”châssis Ward”, véritables serres portatives. L’invention qui a transformé le jardin plus qu’aucune autre est la tondeuse à gazon, inventée par Edwin Budding en 1851.

Deux ans plus tard, elle était fabriquée par Ransoms. Soudain, la pelouse n’était plus un élément secondaire du jardin et, dès lors, le jardinier s’est efforcé d’obtenir la moquette verte parfaite.

1 Conway, Hazel Public Parks Shire Publications, 1996 p. 23-24
2 Ibid., p. 25

9. Le jardin “Arts and Crafts”

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Hidcote Manor Garden (Angleterre)

Les jardins et les parcs évoluent suivant les modes, les goûts et les technologies mais aussi à cause d’un simple besoin de changement. En réaction au modèle victorien très industrialisé, il y a eu une quête d’un nouvel ordre, basé sur une plus grande simplicité et rejetant les objets produits en masse. Le jardin a commencé à se transformer, non par pour dicter la mode mais pour la suivre. C’est l’oeuvre de William Morris et les écrits de John Ruskin qui ont insufflé un nouveau romantisme au jardin idéal, incité à la recherche d’un style plus naturel inspiré du passé et fondé sur l’artisanat et le jardin de “cottage”.

 

Cela s’est fait en parallèle avec le nouveau style de peinture des Pré-Raphaélites qui recherchaient dans le Moyen-Âge un esprit romanesque et de chevaleresque. Ces principes convenaient aux petits jardins, comme aux jardins des grands domaines.

Le jardinage est devenu une passion dévorante. Les jardins avaient souvent une structure formelle mais utilisaient les mêmes plantes que les jardins des “cottage”. On y intégrait des éléments architecturaux marqués, tels que les pergolas, les pavillons et les canaux d’eau ; des haies d’ifs ou de hêtres servaient de murets extérieurs et le jardin est devenu une série de “compartiments” ou “pièces extérieures”. Des haies taillées selon des formes originales faisaient office de points d’accès. Les murs et les arches de pierre, associant souvent un style rustique et des pierres de taille, sont devenus très en vogue. Il y avait un mélange de styles, avec une forte influence de l’art classique italien, adouci par des plantes à volutes.

Tous n’étaient pas d’accord : Reginald Blomfield aimait que le jardin soit formel et qu’il y ait un rapport étroit avec l’architecture de la maison, tandis que William Robinson proposait un jardin plus scénique et naturel. Le magazine The Garden de Robinson a connu un immense succès et son “influence sur l’essor du jardinage amateur a été plus qu’égalée par le rôle qu’il a joué dans la défense du style de jardin naturel”.1 Gertrude Jekyll, qui avait un regard d’artiste sur le jardin, est peut-être l’un des personnages les plus connus de l’époque.

Elle a souvent travaillé avec un jeune architecte, Sir Edwin Lutyens, et, ensemble, ils ont créé plus de 100 jardins. Superbe écrivain et grande spécialiste des plantes, elle a cultivé un grand nombre des plantes qu’elle recommandait dans son jardin de Munstead Wood. Gertrude Jekyll s’intéressait surtout aux formes, aux couleurs et à la beauté des matériaux qu’elle utilisait. “Sa technique de jardinage était complètement dominée par les efforts qu’elle déployait pour ordonner les couleurs de la nature.” 2

Thomas Mawson a eu une influence importante sur le développement des idées du mouvement Arts and crafts par le biais de ses travaux, en particulier The Art and Craft of Garden Making. Alors que de nouveaux besoins sociaux et économiques apparaissaient, Mawson a dépassé le cadre du jardin. L’aménagement des villes, avec la création de nouveaux bâtiments et espaces publics, a permis de soulager le stress croissant de la vie urbaine. Mawson a conçu des parcs publics et des zones piétonnes, inspirés du style des Beaux-Arts français, très formel et classique.

Les villes rivalisaient entre elles pour avoir les bâtiments et les espaces publics les plus impressionnants, dont les habitants étaient fiers. Dans la même veine, de nouvelles villes, reprenant des éléments des villages industriels créés plus tôt, se sont développées.

La Grande-Bretagne a donné l’exemple au reste du monde avec les théories d’Ebenezer Howard, de Patrick Geddes, de Patrick Abercrombie
et d’autres sur le développement des cités-jardins et, plus tard, des villes nouvelles.

Le paysage n’était plus le propre du jardin et s’est intégré à la vie quotidienne. Cependant, il visait à recréer les qualités et les plaisirs qu’offre le jardin. Gertrude Jekyll a écrit que “L’amour du jardinage est une graine qui, une fois semée, ne meurt jamais, mais continue de grandir pour donner une source de bonheur intarissable et qui augmente toujours.”1

10. Les jardins de l’entre-deux-guerres

 

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Les Cités du modernisme de Berlin (Allemagne)

Cette époque a vu plus de développements, de changements et d’idées sur les jardins qu’aucune autre. Le jardin était le reflet du changement rapide qui caractérisait ce siècle, et offrait un refuge face à la vie moderne.

À la fin de la première Guerre Mondiale, la structure sociale et économique a connu des changements majeurs en Grande-Bretagne et, comme dans le passé, on a recherché quelque chose de nouveau, une rupture avec le passé. On connaît bien la chronologie du développement dans les années 1920 avec l’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925, qui a indiqué une rupture avec le mouvement des Beaux-Arts. Cette exposition a marqué un tournant dans la création des jardins en France, en particulier le “jardin d’eau et de lumière” de Gabriel Guévrékian. Le travail d’André et de Paul Vera à Paris, et les créations de Guévrékian à la Villa Noailles de Hyères, où le paysage est devenu un tableau cubiste sur le sol au lieu d’un mur, ont fait du paysage une nouvelle forme d’art du 20e siècle. La technologie des nouveaux matériaux, tels que le verre, l’acier et le béton, a donné une nouvelle liberté aux styles architecturaux.

C’est le mouvement de l’avant-garde, qui a été très influencé par les nouvelles idées artistiques, telles que le cubisme et le Bauhaus en Allemagne.

Toutefois, les jardins restaient traditionnels et étaient fortement influencés par les idées de Gertrude Jekyll qui encourageait une utilisation informelle des plantes et l’aménagement de jardins pour enfants. Un certain nombre de magazines, tels que Ideal Home et House and Garden, ont incité les propriétaires à créer leur jardin.

Les magazines et journaux visaient différents niveaux de la société et groupes de consommateurs, comme aujourd’hui. Le jardin de Vita Sackville-West à Sissinghurst, commencé en 1930, a développé les idées de Gertrude Jekyll sur les couleurs et la “pièce extérieure” ; ses écrits ont popularisé les jardins et le jardinage1. David Jacques a résumé l’attitude britannique envers les nouvelles idées : “À cause du conservatisme inné de la classe dominante britannique, le design Moderniste n’a été qu’un rêve d’intellectuel.

C’est seulement avec l’irréalité de la guerre puis la reconstruction que les architectes et les paysagistes ont prêté attention à ces idées, et les ont intégrées dans les ouvrages publics et les paysages.
Cependant, quand les gens riches choisissaient leur jardin, ils préféraient au mouvement Moderniste la tradition à laquelle appartenaient Gertrude Jekyll, Percy Cane, Russell Page et Lanning Roper”.2 Ces idées ont été reconnues dans une certaine mesure, avec le Restaurant Caveman à Cheddar Gorge, réalisé par Geoffrey Jellicoe et Russell Page dans les années 1930 ; et l’ouvrage intitulé Gardens in the Modern Landscape (1938) de Christopher Tunnard a marqué une étape importante dans la pensée de l’époque, étant donné qu’il ne traitait pas uniquement des jardins mais aussi de la question plus large du logement pour les zones urbaines en expansion.

Ce qui avait débuté au siècle précédent sous la forme de villages industriels a conduit au mouvement des Villes jardins au début du 20e siècle, qui visait à intégrer le paysage dans les zones d’habitation, de travail et de loisir. Letchworth et Welwyn Garden City ont illustré les idées d’Howard, de Geddes et d’Abercrombie avec l’intégration de la ville et de la campagne.

L’emplacement des industries, des logements, des commerces, des écoles et universités, des installations sportives et de loisir, ainsi que leur accès, ont été soigneusement planifiés. Les espaces verts publics et les “liaisons vertes” reliées à la campagne environnante constituaient une priorité dans l’aménagement des villes.

La campagne environnante est en fait la ceinture verte qui entoure nombre de villes en Grande-Bretagne, et dans d’autres pays du monde. Les idées sur l’aménagement des villes des Britanniques sont devenues le modèle utilisé pour la transformation et l’expansion des zones urbaines dans le monde. À une échelle plus modeste, les logements sociaux britanniques de l’entre-deux-guerres comportent de vastes espaces ouverts, des allées vertes reliant les divers lieux, et des pelouses. Ils rappellent les villes jardins, en version plus petite.

1 Sackville-West avait une rubrique dans le Guardian (1947-1961) intitulée In Your Garden et elle a publié de nombreux livres : The Land 1926, Collected Poems 1933, The Garden 1946
2 Jacques, David Landscapes and Gardens in Britain 1930-2000 présentation destinée à la Garden History Society et à la 20th Century Society, Jardins botaniques royaux, Kew, 27-28 Mars 1998, p. 2

11. La fin du 20e siècle :
reconstruction, art et environnement

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Parc de Saint-Quentin-en-Yvelines (France)

En Grande-Bretagne, la reconstruction de l’après-guerre a été lente, mais le Festival de Grande-Bretagne en 1951 a redonné espoir aux gens et a apporté de nouvelles idées en architecture et sur les jardins.

Neuves, pures et simples, ces idées devaient permettre aux gens d’apprécier l’environnement urbain. Les architectes paysagistes Frank Clark, Peter Shepheard, Maria Shepard et Peter Youngman ont introduit un nouveau style de vie, fondé sur une version modérée des idées modernistes des années 1930, essentiellement une approche anglaise sans excès.

Le Festival a illustré une nouvelle conception de l’aménagement urbain, où les espaces extérieurs sont devenus aussi importants que les intérieurs. Peter Shepheard s’est demandé de quoi les gens se rappelaient de Venise : non pas les intérieurs mais les espaces qu’ils traversent.1

Le jardin et le paysage ont pris plusieurs directions différentes au cours du siècle, avec l’augmentation de la population des villes. L’industrie devrait être reconstruite et un grand nombre de nouveaux logements était nécessaire. Les architectes ont expérimenté dans le domaine des matériaux et du design, comme les immeubles reliés par des “ponts” à chaque niveau. Ils se situaient sur de vastes espaces verts, mais la plupart étaient voués à l’échec car ils étaient mal construits et ne répondaient pas aux besoins des gens.

Étant donné que les fonds avaient été dépensés quand on commençait à se soucier du paysage, on ne rencontrait que quelques arbres sur les espaces verts. Alors que ces logements urbains n’ont pas donné de bons résultats, les villes nouvelles, que l’on a commencé à bâtir en 1947, ont connu un grand succès. Au total, on en a construit 27. Ces villes, créées pour des raisons de politique sociale, étaient inspirées des premières Villes jardins.

À la fin des années 1960, les gens ont commencé à se préoccuper sérieusement des problèmes de l’environnement, comme aujourd’hui. Warrington, la dernière des villes nouvelles, a repris les idées néerlandaises d’une vie dans un paysage plus naturel ; les jardins, moins structurés, intégraient une nature plus sauvage.

Les années 1960-70 n’étaient pas glorieuses en matière d’architecture et de paysage. Il a fallu attendre de nouveaux artistes pour remettre en cause et modifier les perceptions sur le paysage. Des personnes comme Cristo, Goldsworthy, Finlay et Schwartz ont développé une approche holistique et multidisciplinaire qui a fusionné l’art et la nature dans un jardin et un paysage de type nouveau. Ce qui différencie le paysage moderne de celui d’autrefois, c’est qu’il n’a pas pour but l’esthétique seule. Beau et artistique, il doit aussi être durable, constituer un espace de vie et être riche de sens. Autrefois le domaine réservé du monde de l’art souvent élitiste, les jardins ont pris une place importante pour les communautés locales, encouragées à rénover leur quartier par le biais d’initiatives et de subventions des collectivités locales. Ces programmes associent souvent les besoins sociaux à l’art et à l’écologie. L’alliance de l’art et du jardin est devenue un moteur de rénovation pour ces quartiers.

Non seulement les quartiers ont été rénovés, mais aussi les parcs et les jardins historiques ont été restaurés. En outre, de nouveaux parcs et jardins ont été créés. Ces travaux ont été réalisés par des particuliers, des fondations d’utilité publique et l’État. Les parcs et les jardins jouent un rôle économique important et rapportent plus de 4 milliards de livres sterling par an à l’économie britannique. Pour la plupart des gens, le jardin est avant tout le jardin qu’ils ont chez eux. Les revues et les programmes de télévision proposent une foule de transformations et de conseils pratiques. Les jardins sophistiqués connaissent toujours un certain succès, mais on
cherche surtout aujourd’hui à retrouver la simplicité et le style de la période moderniste : le jardin comme lieu pour profiter de la vie avec ses proches.

1 Bennis, E : Entretien avec Peter Shepheard en novembre 2002

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