Dans le cadre de notre démarche pour valoriser et partager avec le plus grand nombre l’exploration de l’héritage culturel par les jardins et les paysages, nous vous proposons divers textes et poèmes sur les jardins. Voici le quatrième, bonne lecture.
4. Jardin des mille et une nuits
Je me promettais bien de ne pas oublier l’avis important qu’elles m’avaient donné, de ne pas ouvrir la porte d’or; mais comme, à cela près, il m’était permis de satisfaire ma curiosité, je pris la première des clefs des autres portes, qui étaient rangées par ordre.
J’ouvris la première porte, et j’entrai dans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’y en a point qui soit comparable. Je ne pense pas même que celui que notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser. La symétrie, la propreté, la disposition admirable des arbres, l’abondance et la diversité des fruits de mille espèces inconnues, leur fraîcheur, leur beauté, tout ravissait ma vue. Je ne dois pas négliger, madame, de vous faire remarquer que ce jardin délicieux était arrosé d’une manière fort singulière : des rigoles creusées avec art et proportion portaient de l’eau abondamment à la racine des arbres qui en avaient besoin pour pousser leurs premières feuilles et leurs fleurs ; d’autres en portaient moins à ceux dont les fruits étaient déjà noués ; d’autres encore moins à ceux où ils grossissaient; d’autres n’en portaient que ce qu’il en fallait précisément à ceux dont le fruit avait acquis une grosseur convenable et n’attendait plus que la maturité ; mais cette grosseur surpassait de beaucoup celle des fruits ordinaires de nos jardins. Les autres rigoles enfin, qui aboutissaient aux arbres dont le fruit était mûr, n’avaient d’humidité que ce qui était nécessaire pour le conserver dans le même état sans le corrompre. Je ne pouvais me lasser d’examiner et d’admirer un si beau lieu; et je n’en serais jamais sorti, si je n’eusse pas conçu dès lors une plus grande idée des autres choses que je n’avais point vues. J’en sortis l’esprit rempli de ces merveilles ; je fermai la porte, et j’ouvris celle qui suivait.
Au lieu d’un jardin de fruits, j’en trouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans son genre. Il renfermait un parterre spacieux, arrosé non pas avec la même profusion que le précédent, mais avec un plus grand ménagement, pour ne pas fournir plus d’eau que chaque fleur n’en avait besoin. La rose, le jasmin, la violette, le narcisse, l’hyacinthe, l’anémone, la tulipe, la renoncule, l’œillet, le lis et une infinité d’autres plantes qui ne fleurissaient ailleurs qu’en différents temps, se trouvaient là fleuries toutes à la fois ; et rien n’était plus doux que l’air qu’on respirait dans ce jardin.
J’ouvris la troisième porte ; je trouvai une volière très vaste. Elle était pavée de marbre de plusieurs sortes de couleurs, du plus fin, du moins commun. La cage était de santal et de bois d’aloès ; elle renfermait une infinité de rossignols, de chardonnerets, de serins, d’alouettes, et d’autres oiseaux encore plus harmonieux dont je n’avais jamais entendu parler de ma vie. Les vases où étaient leur grain et leur eau étaient de jaspe ou d’agate la plus précieuse. D’ailleurs, cette volière était d’une grande propreté : à voir son étendue, je jugeais qu’il ne fallait pas moins de cent personnes pour la tenir aussi nette qu’elle était; personne toutefois n’y paraissait, non plus que dans les jardins où j’avais été, dans lesquels je n’avais pas remarqué une mauvaise herbe, ni la moindre superfluité qui m’eût blessé la vue. Le soleil était déjà couché, et je me retirai charmé du ramage de cette multitude d’oiseaux qui cherchaient alors à se percher dans l’endroit le plus commode pour jouir du repos de la nuit. Je me rendis à mon appartement, résolu d’ouvrir les autres portes les jours suivants, à l’exception de la centième.
Description d’un pairi-daeza (jardin persan) Les Mille et Une Nuits
« Les mille et une Nuits » est un recueil anonyme de contes populaires d’origine persane et indienne du 8ème siècle. Le thème du jardin, dans Les Mille et Une Nuits prend une dimension et une importance toute particulière si l’on songe que dans l’imaginaire arabo-musulman, sa mention, à plus forte raison sa description luxurieuse et luxuriante, ne peut que renvoyer le lecteur à la mention du jardin céleste si abondamment rappelé dans le Coran comme récompense de ceux qui font le bien sur terre.